Prolongement de la LGV jusqu’à Toulouse : le projet est-il viable écologiquement?
Alors que le projet de loi climat vient d’être adopté à l’Assemblée nationale, la complémentarité entre l’avion et le train va être reléguée au second plan sur certaines lignes intérieures. En effet, en accord avec la proposition de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), certaines liaisons aériennes vont laisser le champ libre au TGV. Les voyages Paris-Bordeaux/Nantes/Lyon sont concernés, car réalisables en train en moins de 2h30. Bien que les bénéfices environnementaux ne soient pas toujours évidents, le rail profite d’un soutien indéfectible des politiques, des associations et militants écologistes.
Dans ce contexte, le gouvernement a confirmé apporter son soutien pour le financement du prolongement de la LGV de Bordeaux à Toulouse. Ce projet devrait mettre la ville rose à 3h10 de Paris en TGV, contre environ 4h30 actuellement. Le coût sera important ; 7 milliards d’euros dont 4,1 milliards à la charge de l’état. La 4e métropole de France attendait de pied ferme cette nouvelle, bien qu’elle profite déjà d’une liaison aérienne performante, garantie par Air France. La navette entre la capitale occitane et Paris est d’ailleurs la ligne intérieure la plus fréquentée, avec 3 188 196 passagers en 2018. Source : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/bulletin_stat_trafic_aerien_2018.pdf
Le train est régulièrement considéré comme le mode de transport le moins polluant. Mais la construction des infrastructures est la plupart du temps exclue des bilans. Une ligne à grande vitesse, c’est du ballast, des traverses, des rails et parfois même des viaducs et tunnels. La SNCF délivre malgré tout avec transparence les données concernant la construction des LGV. Source : https://www.sncf-reseau.com/sites/default/files/2019-04/SNCF-methodologie__1.pdf page 47
Le projet de LGV
Comme le projet concerne le prolongement de la LGV de Bordeaux jusqu’à Toulouse, nous allons considérer les émissions liées à la construction du segment Tours-Bordeaux déjà existant. D’après les estimations, la construction de chaque kilomètre d’infrastructures émet 5 000 tonnes de CO2eq. On considère que la portion fera la même longueur que la distance à vol d’oiseau entre les deux villes concernées, soit 210 km pour Bordeaux-Toulouse.
LGV Tours-Bordeaux : 302 km LGV Bordeaux-Toulouse (estimé) : 210 km
La construction des 210 km de LGV vers Toulouse émettra 1 050 000 tonnes de CO2eq (5 000 tonnes/km).
Pour évaluer la pertinence de ce projet, nous allons faire l’analogie avec le cas de Bordeaux, tout en sachant que Toulouse est plus éloignée de Paris et que l’avion gardera un avantage concernant le temps de trajet (58 minutes en moyenne). La ligne à grande vitesse reliant la capitale girondine à Paris a été mise en service le 2 juillet 2017. Entre 2016 et 2019, la liaison aérienne entre ces deux villes a enregistrée une diminution de fréquentation de -25,4%. Nous allons considérer que cette baisse est due uniquement à un report du trafic de l’avion vers le TGV. Sachant que Toulouse sera non pas à 2h04 mais 3h10 environ de la capitale, la proportion de clients choisissant de changer leur manière de se déplacer devrait être moindre.
L’arrivée du TGV à Bordeaux, en juillet 2017, aura entraîné une diminution de trafic de -25,4%. (entre 2016 et 2019) (1 633 953 passagers à 1 218 505 passagers) Source : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/bulletin_stat_trafic_aerien_2018.pdf bulletins 2016 à 2019
Calcul des émissions
La ligne aérienne Paris-Toulouse est responsable chaque année de l’émission de 255 445 tonnes de CO2. On obtient ce résultat à l’aide d’un produit en croix :
Trafic intérieur métropole : 26 210 000 passagers annuels – 2 100 000 tonnes de CO2
Trafic Paris-Toulouse : 3 188 196 passagers – 255 445 tonnes de CO2
Le calculateur DGAC donne 253 143 tonnes de CO2, ce qui valide le résultat précédent.
Selon notre hypothèse, la perte de -25,4% du trafic aérien sur la ligne sera entièrement attribuable à la mise en service de la LGV. En pratique, d’autres paramètres peuvent intervenir et accentuer cette diminution. On considère le scénario suivant pour Toulouse ; le nombre de passagers utilisant l’avion passerait de 3 188 196 à 2 391 147 (-25%). En partant du principe que le report imputable à l’arrivée de la LGV à Toulouse sera de 25% du trafic vers le train, l’économie réalisée sera de 63 861 tonnes de CO2 par an (25% de 255 445). Ainsi, ce sont 797 049 personnes qui utiliseront le TGV plutôt que l’avion chaque année pour se rendre à Paris.
D’après la SNCF, le facteur d’émissions du TGV est de 3,6g CO2/passager/km, soit 2,82kg au total pour le Toulouse-Paris. (783 km) Les passagers s’étant tourné vers le train vont émettre 2 248 tonnes de CO2 chaque année. (2,82kg pour chacun des 797 049 utilisateurs)
Conclusion
En considérant un report modal de 25% des usagers de l’avion (797 049 passagers) vers le TGV, on évite chaque année l’émission de 63 861 tonnes de CO2. Les voyageurs concernés par ce changement de mode de transport vont émettre au total 2 248 tonnes de CO2 chaque année en utilisant le train sur la ligne Paris-Toulouse. Il faudra donc attendre l’année 2046, 16 ans après la mise en service prévue en 2030, pour arriver à l’équilibre. A partir de là, on pourra percevoir un impact positif du prolongement de la LGV d’un point de vue écologique. Pour rappel, Airbus prévoit la mise en service d’appareils zéro-émissions pour 2035. Plusieurs compagnies aériennes projettent de faire voler des avions à faibles émissions sur les lignes intérieures dans la décennie.
Seule la suppression de la liaison aérienne et le transfert de l’intégralité du trafic vers le rail permettra d’amortir le bilan carbone de la construction des infrastructures en 4 ans, soit en 2034. Pour cela, il faudra remplir certaines conditions :
- Tous les utilisateurs de l’avion se tournent vers le train. L’utilisation de la voiture individuelle ou des cars longues distances par une partie des ces personnes invalide l’hypothèse.
- Les émissions de l’avion sur la ligne Paris-Toulouse reste stable, pas d’amélioration de l’efficacité énergétique des avions d’ici 2030.
- On ne prend pas en compte les opérations de maintenance de la ligne à grande vitesse.
On peut donc remettre en cause la crédibilité d’un tel projet. En plus d’émettre du CO2 en quantité et sans perspective d’équilibrage, il va abîmer des espaces naturels et des écosystèmes. Le financement à hauteur de 58% par l’état semble être une faveur purement politique plutôt qu’une décision pour l’écologie et le désenclavement du Sud-Ouest du pays.