Lettre du CPA au maire de Poitiers
Madame la maire.
La polémique de ce dernier week-end, suite à vos déclarations lors du Conseil Municipal de votre ville le 29 Mars dernier qu’il nous semble parfaitement inutile de rappeler ici, nous amène à prendre la plume pour vous faire part de notre grande déception et inquiétude.
Vos propos qui indiquent que « L’aérien ne doit plus faire partie des rêves d’enfants aujourd’hui » ont profondément choqué la famille aéronautique dans son ensemble et les citoyens que nous sommes.
Nous accueillons donc positivement vos dernières déclarations à la radio ou dans la presse écrite qui indiquent que vous reconnaissez la « maladresse de cette phrase », mais nous sommes étonnés que vous parliez de « l’incompréhension qu’elle a pu générer ». Il nous semble en effet que les mots utilisés ne laissent aucune part à une mauvaise interprétation ou compréhension et si ces mots ont dépassé votre pensée, nous pensons qu’il aurait été préférable que vous l’indiquiez clairement, par exemple en prononçant vos regrets, plutôt que de rejeter la responsabilité de la polémique sur la capacité des personnes qui les ont lus ou entendus.
La réduction, puis l’annulation, de la subvention à des aéroclubs de votre commune est une décision qui incombe à votre rôle d’élue, que nous ne pouvons contester, même si nous la regrettons. Pour autant, nous sommes inquiets quand nous entendons dans votre entretien à RTL que cette décision est un « symbole ». Et ce d’autant plus que les arguments que vous avancez sont erronés, et nous semblent issus de dogmes persistants et stigmatisant l’aérien.
Nous ne citerons que deux exemples issus de vos récentes déclarations :
– Vous indiquez ainsi à RTL que « Le dogmatisme il est dans l’inaction, il est dans le fait de ne pas prendre la mesure des changements climatiques ».
– Savez-vous, Madame la Maire, que le secteur aérien a été le premier à demander au GIEC de faire un rapport spécial sur l’impact du trafic aérien dès 1999 pour justement prendre la mesure de cet impact sur le changement climatique et que ce rapport indiquait alors que la part des émissions de CO2 de l’aérien était de 2% de l’ensemble des émissions d’origine humaine ?
– Savez-vous que depuis 1990, le secteur aérien a amélioré son efficacité énergétique de 54% et qu’il s’est engagé dès 2009 à réduire ses émissions absolues nettes de 50% en 2050, par rapport au niveau de 2005 ?
– Savez-vous que grâce à ces améliorations techniques et opérationnelles, la part des émissions de CO2 de l’aérien est aujourd’hui encore de 2%, malgré la forte croissance de son activité avant la crise sanitaire actuelle ?
– Vous indiquez par ailleurs que « L’avion est vraiment l’un des transports les plus injustes socialement » notamment parce que « 1% de l’humanité est responsable de 50% des émissions de gaz à effet de serre liés à l’aviation. »
– Savez-vous que ce chiffre, rapporté dans la presse et dans certains rapports, se fonde sur une seule étude, largement discutable car basée sur des données accumulées et des sondages effectués à des dates différentes et donc inconsistants ?
– Savez-vous que même si nous acceptions ce chiffre, nous aboutirions à la conclusion que 1% de la population mondiale est responsable de 1% des émissions de CO2 d’origine humaine (la moitié des 2% globaux) ? Est-ce cela que vous appelez de l’injustice ?
Vous avez déclaré à Libération le 7 Avril que « Le trafic aérien a augmenté de 42% entre 2005 et 2019, donc il faut le réduire, c’est une question de rationalité ». Sans même prendre le temps de vérifier la source de vos chiffres, nous souhaitons simplement vous suggérer qu’à prendre des décisions qui se veulent « symboliques », vous vous trompez de cible : notre ennemi commun est le changement climatique et les gaz à effet de serre qui y contribuent, pas l’aviation par principe.
Même s’il semble difficile de concilier largement nos points de vue, admettons que nous pourrions à minima chercher à nous accorder sur quelques points.
L’aviation occupe historiquement une place importante dans notre société. Elle participe de notre patrimoine commun, même si chacun est libre bien évidemment de s’en sentir plus ou moins proche. Nous avons bien compris que Saint-Exupéry faisait aussi partie de vos classiques et nous n’avons aucune raison de douter de votre sincérité. Le passé ne nous appartient pas mais nous en sommes les gardiens. Des Hommes et des femmes ont travaillé dur et payé chèrement, parfois même au prix de leur vie, pour que nous ayons aujourd’hui cette facilité à nous déplacer rapidement dans les 3 dimensions. La banalisation commerciale de l’aérien nous prive sans doute un peu de la mesure de la chance dont nous jouissons à pouvoir en de nombreux domaines, bénéficier des services que le secteur nous rend dans son ensemble. Vous les connaissez aussi bien que nous.
La question climatique a fait irruption dans nos vies. Le passé lui ne pouvait pas en tenir compte. Il nous a donc livré malgré le progrès des machines imparfaites au regard de ce que pouvons en attendre en cet instant précis. Mais l’aérien ne fait pas exception. L’imperfection touche aujourd’hui chaque secteur d’activité dont la marge de manœuvre pour complaire aux nouvelles exigences environnementales est importante. Le secteur aérien est aujourd’hui un de ceux qui est le plus engagé et qui fait le plus d’efforts pour s’améliorer en conscience, que demain ne pourra pas être comme aujourd’hui qui n’est lui-même déjà plus comme hier. Face aux faits, pourriez-vous le nier ?
Nous ne voulons pas revenir sur cette phrase malheureuse que vous avez dite et dont nous ne pouvons penser qu’elle exprimait sincèrement votre pensée profonde. Assurément, vous ne diriez pas cela droit dans les yeux à vos propres enfants. Aussi nous préférons retenir cette notion d’avenir désirable que vous avez évoqué un peu plus tard et la partager avec vous. Le rêve est souvent ce qui précède la réalisation des choses, et aujourd’hui nous rêvons aussi d’un avenir désirable. Mais cet avenir ne doit pas être exclusif de l’évolution passée. Voler est sans doute le plus vieux rêve de l’humanité. Icare et bien plus tard, en 1485, Léonard de Vinci y réfléchissaient déjà. Comme Vinci aurait sans doute rêvé de pouvoir voler dans un avion tel que nous les connaissons aujourd’hui, nous rêvons en imaginant les avions que nos enfants, et nous même sans doute, auront la chance de connaître demain.
Personne n’a le droit d’arrêter ce rêve car ce serait simplement nous priver de l’évolution naturelle des choses. Vous ne pouvez ignorer que l’avenir se dessine sous nos yeux. Des gens travaillent partout et sans doute même dans votre ville pour que l’aviation appartienne à ce demain désirable. Ce faisant, ils participent aussi à l’économie d’aujourd’hui.
Nous avançons tous sur le même chemin, avec des sensibilités différentes mais soyez en certaine, avec le même objectif final. Nous voulons tous offrir à nos enfants un monde meilleur, un avenir positif et respirable. Mais nous devons avancer ensemble et non les uns contre les autres. L’aérien a besoin d’écologie mais l’écologie a aussi besoin d’aérien et c’est pour cela que dès la création de notre collectif, nous appelions à une écologie alliée. Il ne s’agit pas pour elle de s’aplatir ni de tout accepter. Elle doit au contraire être la ligne conductrice de la trajectoire à suivre. Toutefois cette trajectoire ne saurait conduire à la régression ou à l’abandon pur et simple de notre présent, lui-même fruit de l’évolution.
Nous vous prions d’agréer, Madame la maire, l’expression de nos sincères salutations
Le Collectif de Protection de L’aérien