Train vs Avion, ce que l’on ne vous dit pas
Cela dépend de quel avion et de quel train on parle. Le débat est souvent faussé, d’une part parce que l’on prend une moyenne de l’ensemble des émissions de l’aviation intérieure (toutes lignes confondues) que l’on compare avec celle du TGV français (évoluant sur des lignes à haut flux de voyageurs et fonctionnant à l’électricité propre) et d’autre part parce que les infrastructures ferroviaires ne sont pas prises en compte dans les calculs. Voici un état des lieux des informations à disposition du grand public:
Selon les sources, l’avion polluerait de 3,4 à 1500 fois plus que le train. A la lecture de ces articles, on s’aperçoit que les analyses sont très superficielles et surtout qu’aucune ne questionne ni le périmètre ni la robustesse des données. Parfois même, elles induisent le lecteur à des biais de compréhension (comme l’article d’A. Bigo qui compare les pollutions par trajet moyen, mettant dans le même panier le TER et l’avion long courrier).En réalisant une approche cycle de vie, on peut considérer 4 catégories émettrices de CO2 pour un moyen de transport (Chester & Horvath, 2009):
- La construction, la maintenance et autres opérations secondaires (formation du personnel, assurance….) liées au moyen de transport
- La production et l’acheminement du vecteur d’énergie (carburant ou électricité)
- L’opération primaire (le transport)
- Les infrastructures nécessaires à son opération
Cette approche cycle de vie apparaît la plus pertinente pour comparer l’impact environnemental de plusieurs moyens de transport, même si cela peut amener à des situations paradoxales: si l’élaboration du kérosène est intégrée au bilan carbone de l’aviation, alors pour éviter le double comptage, cela signifie que les compagnies pétrolières sont neutres… C’est la même chose pour la production d’acier et de ciment des LGV qui laissent ces industries totalement vertueuses.
Concernant l’aviation, les émissions liées à la combustion du carburant pour le vol, sont de loin la source de CO2 la plus importante (98% sur le cycle de vie). Pour le ferroviaire, il existe de fortes disparités selon la source d’énergie utilisée: pour les trains électriques (dont TGV) , les émissions liées aux infrastructures sont supérieures aux émissions liées à son opération.
Mais avant de comparer de manière brutale 2 moyens de transport, il faut définir un périmètre. Pour être pertinent, ces 2 moyens de transport doivent être substituables. Or le train est l’avion sont de nature très différentes et seule une petite partie de leurs domaines d’utilisation respectifs se superpose. Voici les caractéristiques des liaisons sur lesquelles ces 2 moyens peuvent être mis en concurrence:
- Une liaison suffisamment longue pour justifier l’utilisation de l’avion de manière économique (disons >400km)
- Une liaison suffisamment courte pour justifier l’intérêt du train par rapport à l’avion (disons <1200km pour un train rapide)
- Une liaison à haut flux de voyageurs réguliers pour justifier la construction d’une ligne ferroviaire.
Sur ce type de liaisons l’autorail (lent) ou le beech 1900 (19 places, peu capacitaire) ne sont pas les plus adaptés (les petits modules seront utilisés pour des demandes particulières comme les correspondances). On préférera utiliser le TGV pour le rail ou le moyen courrier capacitaire de type A320/B737 pour l’avion. Il n’est donc pas plus utile de comparer le TGV avec le beech 1900 que le B737 avec l’autorail!
Maintenant que le périmètre est défini, voyons le détail des émissions:
Emissions du TGV
2. Emissions liées à l’opération du TGV
Selon la SNCF, en 2018 le TGV émet 2,4 gCO2e/Pax.km ce qui, il faut le reconnaître, est une performance extraordinaire (on rejetterait plus de CO2 par la respiration en parcourant la même distance en vélo, à cheval ou à pied). Cette performance est due à l’amélioration de la capacité des trains, de leur taux de remplissage et surtout à l’utilisation d’une électricité très peu émettrice (nucléaire). Pour ses calculs, la SNCF prend en compte le mix électrique Français de 48 gCO2e/kWh en 2018, en se basant sur l’allocation physique de l’électricité. Cette méthode est très discutable car si le fournisseur contractuel de la SNCF produit de l’électricité carbonée, alors peu importe où les trains roulent physiquement, du CO2 sera émis en fonction du mix fournisseur et de la consommation électrique des trains. L’ADEME préconise d’ailleurs d’utiliser ce mix fournisseur:
Par exemple, en 2006 la SNCF quittait EDF pour la SNET, dont le facteur d’émission était de 985 gCO2e/kWh (tandis que le mix français était estimé à la même époque à 23 gCO2e/kWh). Avec cet exemple, on voit bien que l’utilisation de la méthode d’allocation physique de l’électricité donnerait un résultat sans rapport avec les émissions réelles de CO2 produites par les centrales à charbon de la SNET.
Plus récemment, un rapport de la cours des compte de 2014 indique que la SNCF ne s’approvisionne pas à 100% au le mix Français:
Et les fournisseurs d’électricité européens ne sont pas égaux devant les émissions de CO2, selon le journal les échos (source PWC) cela peut aller de 9 à 1077 gCO2e/kwh. Un calcul utilisant la valeur du mix européen moyen (420 gCO2e/kwh) et la consommation d’un TGV (20 kWh/km) selon l’ADEME donne 18,4 gCO2e/Pax.km. La valeur donnée par la SNCF est donc la limite basse des émissions liées à l’opération du TGV (et non la valeur moyenne).
En faisant l’hypothèse que la solution TGV soit adoptée par d’autres pays (et dont l’opérateur se fournirait au mix du pays en question) voici les émissions par Pax.km d’un TGV exploité avec un nombre de passagers moyen de 457 Pax/Train (Mix moyen selon base carbone ADEME, Nov. 2020):
La performance écologique de l’exploitation du TGV est très fortement liée au mix énergétique du pays fournisseur. Dans la liste ci-dessus, l’offre TGV pourrait convenir à ces pays à fort PIB et/ou possédant de grands territoires. Cependant, à part pour la suède et la Norvège, les émissions diffèrent largement de celles correspondant au mix français.
On notera que le guide méthodologique de l’ADEME, indique un nombre moyen de passagers par TGV de 285 en tenant compte des trajets à vide tandis que les données 2018 de la SNCF donnent une moyenne de 457 passagers par train. En prenant le taux de remplissage de l’ADEME on augmente les émissions du TGV de 60%, soit 3,37 gCO2e/Pax.km pour le mix français et 29,5 gCO2e/Pax.km pour le mix européen. Les données de l’ADEME n’étant pas toujours à jour, ce sont les données de la SNCF qui ont été utilisées dans les calculs bien qu’il n’y ait pas mention de trajets à vide.
2. Emissions liées aux infrastructures ferroviaires (LGV):
Dans les bilans carbone, les émissions de CO2 liées à la construction des lignes LGV sont en général amorties sur 100 ans, durée de vie présumée de l’infrastructure. Ainsi, chaque année, seulement 1/100 des rejets CO2 de la LGV sont pris en compte dans les bilans. Seulement le CO2 est déjà dans l’atmosphère et il participe au réchauffement. Cet amortissement est une entourloupe comptable qui s’arrange de la réalité physique.
Imaginons que l’on utilise ce même stratagème d’amortissement pour l’aviation: en faisant l’hypothèse d’une réduction des émissions de 80% en 2050 et d’un avion neutre en 2065, alors si j’amorti tout ça sur 100 ans la performance moyenne de l’avion sur ce siècle est de 27 gCO2/Pax.km…. Cela n’aurait pas vraiment de sens aujourd’hui (mais aurait du sens pour comparer le bilan global des 2 modes de transports sur une période donnée).
Malgré tout, il faut bien définir une méthode pour pouvoir comparer l’avion et le train. Attribuer la totalité du bilan carbone aux tout 1ers voyageurs n’aurait pas tellement de sens non plus, les pauvres exploseraient leur budget CO2 sur un simple aller Bordeaux-Paris… Il semble qu’un amortissement sur l’horizon 2050 (date cible d’inflexion de la courbe de T°) soit la moins pire des méthodes. En outre, 30 ans c’est en moyenne la durée de vie de la plupart des éléments d’une LGV (rails, ballast, signalisation…) dont le remplacement nécessitera à nouveau d’importantes émissions de CO2 (cf. renouvellement de la LGV nord seulement 22 ans après son ouverture). 30 ans, c’est également l’horizon du bilan carbone de la LGV Rhin-Rhône.
En reprenant les bilans carbone des dernières LGV construites, voici la part de CO2 par Pax.km (voir les détails du calcul dans l’encadré dans la suite du document):
L’impact carbone de la construction de l’infrastructure ferroviaire est loin d’être négligeable, il est même largement prépondérant pour le TGV Français. A noter que si la densité de trafic baisse (essor du télétravail, des voitures autonomes…) les émissions par passager augmentent, et inversement si le trafic augmente (report modal obligatoire de l’avion voire de la voiture, sur le train).
3. Bilan TGV
L’analyse sur 30 ans montre que les émissions CO2 du transport ferroviaire dépendent de nombreux paramètres pesant significativement dans le bilan. La définition d’un taux d’émission « standard » est peu pertinente face à une étude au cas par cas. En prenant des hypothèses « aux limites » d’une exploitation TGV aux conditions SNCF de 2018 (457 pax/train), les émissions peuvent varier de 19 gCO2/Pax.km sur la LGV SEA en roulant au mix Français à 130 gCO2/Pax.km pour un TGV qui roulerait au mix « Afrique du Sud », sur une LGV au même bilan carbone que la HS2 anglaise avec une densité de 50 trains / jour. Ce dernier exemple n’est évidemment pas réel, mais sert à démontrer que la solution TGV n’est pas un moyen bas carbone universel, et que la solution n’est pas toujours pertinente à l’étranger. Dans tous les cas, on est loin des 2,4 gCO2/Pax.km annoncés dans les communications de la SNCF. Il est malhonnête de se voiler la face et de se focaliser sur les seules émissions d’exploitation du train. Non seulement cela déformerait la perception du public sur l’impact écologique de ce moyen de transport, mais pourrait biaiser les décisions politiques.
Emissions de l’avion
1. Emissions liées à l’opération de l’avion:
Les émissions d’exploitation de l’avion sont également souvent biaisées. Comme expliqué précédemment, le TGV est un transport de masse et il ne ferait pas sens de le comparer avec des avions à faible capacité de type beech 1900D, ATR42/72 ou ERJ145 (ces « petits » avions sont utilisés pour répondre à une demande spécifique, pas pour concurrencer le TGV). Or les données de l’ADEME sont des moyennes et ne sont pas représentatives des émissions d’avions plus capacitaires qui pourraient répondre à une demande similaire à celle du TGV. Le graphique suivant représente les émissions de GES (incluant 21% d’émissions dues à l’extraction du kérosène et 1% dues aux autres GES, d’après la méthode DGAC ) données par l’ADEME pour des avions de 101 à 220 Pax et celles d’un boeing 737-800 NG de 189 Pax (d’après les données réelles de 92 vols effectués entre 2018 et 2019, incluant l’aller et le retour):
Les émissions données par l’ADEME sont systématiquement surestimées (environ 30 gCO2eq/Pax.km, soit environ 30%, entre les deux courbes de corrélation). Sur le domaine d’utilisation train/avion (fixé de 450km à 1250km dans cet exemple), les émissions de GES du B737-800 NG varient de 90 gCO2eq/Pax.km à 115 gCO2eq/Pax.km (soit 73 à 94 gCO2/Pax.km). La consommation est similaire pour l’A320CEO et on devrait observer une amélioration de 10 à 15 % avec les A320NEO et B737Max.
La prise en compte des progrès techniques est d’ailleurs souvent occulté dans la comparaison des émissions train/avion. Or si l’infrastructure ferroviaire bénéficie d’un amortissement de plusieurs années pour son bilan carbone (30 à 100 ans), alors on devrait également prendre des hypothèses d’amélioration des émissions avion sur cette même période afin que la comparaison soit neutre.
2. Emissions liées aux infrastructures aéroportuaires:
Il y a 2 différences majeures entre les infrastructures aéroportuaires et les infrastructures ferroviaires de type LGV:
- La part de CO2 d’un aéroport est très faible une fois reportée sur un Pax.km. En effet, un aéroport dessert une multitude de lignes, sur lesquelles on reporte une petite partie du total des émissions.
- La construction des aéroports est ancienne et leur construction est amortie. Plus largement on pourrait considérer qu’il existe une date de prise de conscience du risque climatique avant laquelle il n’est pas pertinent de réaliser un bilan carbone a posteriori. Cela serait en particulier applicable pour la construction des infrastructures (routes, voies ferrées, aéroports…). Or, contrairement aux LGV, la plupart des aéroports Français ont été construits avant cette prise de conscience climatique (certains s’accorde sur 2005, date du protocole de Kyoto). Après l’arrêt du projet d’aéroport de NDDL, il est peu probable qu’un nouvel aéroport voie le jour prochainement en France. Seules la maintenance et l’agrandissement des aéroports émettent du CO2, ce qui est plus faible q’une construction initiale.
Un exemple de calcul concernant l’aéroport de Marseille donne 0,35 gCO2/Pax.km soit une très faible proportion des émissions liées au vol. (sachant que le calcul est discutable car il prend en compte les émissions de la construction de l’aéroport amorties sur 30 ans, alors que l’aéroport de Marseille à été re-construit en 1961, il est donc déjà amorti. Il aurait fallu prendre en compte les seules émissions liées à la maintenance). Un récent article indique que les émissions hors-opération et hors production du kérosène (soit la construction/démantèlement, infrastructures…) représentent 2% des émissions totales de l’avion.
Conclusion
En définissant un périmètre (TGV vs A320/B737) et en intégrant le bilan CO2 de l’infrastructure, la différence d’émissions entre le train et l’avion se réduit fortement. Sur certaines lignes françaises, l’avion n’est que 3 à 5 fois plus émetteur tandis qu’à l’international le TGV peut se révéler autant voire plus polluant que l’avion. Mais cette comparaison n’a en fait pas vraiment de sens car les 2 modes de transport sont fondamentalement différents:
D’une part ils ne répondent pas à la même demande. Le TGV est un transport de masse qui ne fonctionnera que sur certaines lignes à haut flux de voyageurs (La LGV Paris-Bordeaux est dimensionnée pour plus de 30000 Pax/jour, contre 2000 pax/jour qui prenaient la navette avion). L’avion transporte moins de passagers mais offre beaucoup plus de lignes. Avec l’ouverture de la LGV, le voyageur Paris/Bordeaux ne prendra l’avion que si il y trouve un bénéfice particulier (correspondance, trajet Mérignac/Orly, accès parking….). Par contre le voyageur Paris/Aurillac attendra longtemps sa LGV, car la construction de cette ligne serait un non-sens écologique (et économique).
D’autre part leurs bilans carbone sont difficilement comparables. Une partie importante des émissions du train provient des infrastructures. Une fois émis, le CO2 est amorti sur une période de X années ce qui ne correspond pas à une réalité physique. Il existe également une forte variabilité sur la quantité de CO2 émise par les infrastructures (en fonction du nombre d’ouvrages d’art requis), sur les émissions liées à la production d’énergie motrice (diesel, électricité grise, électricité propre…) et sur la densité de trafic permettant d’amortir le bilan CO2 par passager plus ou moins efficacement.
En ce qui concerne l’avion, le bilan des émissions est beaucoup plus facile à déterminer car il est directement proportionnel à sa consommation. Mais les données utilisées dans les comparaisons sont souvent peu pertinentes ou obsolètes. La comparaison est d’autant plus difficile avec le ferroviaire qu’il n’est pas évident d’anticiper les progrès techniques et la baisse de consommation des avions sur la durée d’amortissement d’une LGV.
On ne devrait pas opposer systématiquement avion et train. Le potentiel écologique du TGV est indéniable, mais seulement lorsque les conditions de densité de trafic et d’électricité propre sont réunies. C’est une solution pertinente sur certains axes, dans certains pays, mais c’est loin d’être une solution universelle. Dire que « L’avion pollue XX fois plus que le train » et faire passer cette assertion pour une vérité universelle est tout simplement mensonger.
1 Comment
“On ne devrait pas opposer systématiquement avion et train. Le potentiel écologique du TGV est indéniable, mais seulement lorsque les conditions de densité de trafic et d’électricité propre sont réunies. C’est une solution pertinente sur certains axes, dans certains pays, mais c’est loin d’être une solution universelle.” ¨Parfaitement dit!
Outre des chiffres sortis parfois on ne sait d’où, les positions ignorent le service rendu à mettre en regard des émissions (correctement évaluées).
En tout cas, très bon article. Merci.
4 avril 2021