La relève du Pélican
L’année 2024 a été relativement clémente sur le front des incendies de forêts en France. Les 11500 hectares touchés sur les 15 millions que compte le pays, placent la compagne de feux 2024 sous la moyenne des deux dernières décennies. A contrario, la Grèce et le Portugal ont une fois encore connu une exposition intense aux méga-feux. Cette récurrence confirme, année après année, l’importance des moyens aériens de lutte dans l’engagement face à ce fléau.
L’heure de la relève a sonné
La question du renouvellement de la flotte de bombardiers d’eau s’est donc logiquement posée après les feux historiques de l’été 2022 où 8600 largages ont été opérés contre 3600 l’année précédente. Le vieillissement d’une partie de la flotte composée de 12 Canadairs CL 415 et de 7 Dash 8 plus récent a pour corolaire un taux de disponibilité dont l’abaissement régulier pénalise de plus en plus les secours.
La France s’est donc engagée sur le chemin d’un renouvellement de sa flotte, lançant l’acquisition de quatre nouveaux bombardiers d’eau nouvelle génération de type “canadair” DHC 515. Gérald Darmanin, le précédent ministre de l’Intérieur en charge du dossier, a signé une commande le 12 août 2024, pour une livraison théorique de deux premiers appareils en 2027.
L’écopage n’est pas un long fleuve tranquille
Reste à la firme canadienne Viking Air, Filliale de De Havilland à qui Bombardier a revendu l’activité qu’elle avait acquise quelques années auparavant auprès de Canadair (vous suivez toujours ?), à remettre les chaînes de production en route. Mises en sommeil en 2015 par Bombardier, elles doivent reprendre du service pour donner vie au successeur des 95 CL 415 produits.
Le constructeur réclamait 25 commandes pour lancer son nouveau programme DHC 515. C’est l’Indonésie, qui, avec 6 appareils commandés, avait ouvert le bal dès 2019. L’Europe lui a emboité le pas trois ans plus tard pour 22 unités supplémentaires qu’elle destine à son plan RescEU. Un plan auquel la France participe aux côtés d’autres pays comme la Grèce ou l’Italie, après l’appel au “réarmement aérien d’urgence” qu’ Emmanuel Macron a lancé en réponse au traumatisme national engendré par l’année noire 2022.
Un problème, des solutions?
Dans ce contexte plutôt porteur, de nouveaux acteurs ont investi l’espace. Pour l’instant médiatique. Si on ne présente plus le Canadair dont le nom est souvent devenu générique pour la population, qui connait la Frégate100 ? ou le WF-X “Waterfall”?
Deux projets pour deux start-up, Hynaero et 19-01 dont l’ambition vise à détrôner le vénérable Pélican sur le terrain du feu. Un sacré challenge quand on connait la popularité de la bête.
Reconnu et admiré par les victimes au sol, il est surtout l’ outil particulièrement apprécié des pilotes pour son côté manœuvrant et sécurisant. Mais est-ce à dire que le roi des airs et des plans d’eau est indétrônable ?
La barre est assurément placée bien haute tant l’oiseau maîtrise son sujet depuis longtemps. Car si le Canadair a bien quelques défauts, ceux qui le pratiquent de près n’ignorent pas qu’ils sont aussi étroitement liés aux qualités dont il a su faire preuve depuis le lancement du premier modèle de la série, le CL 215, en 1969. En dépit de son air de gros fer à repasser très caractéristique, ses capacités lui permettent, entre les mains de pilotes experts, de faire de véritables prouesses à l’attaque des flammes.
Bombardier d’eau : un cercle très fermé
Les concepteurs d’avions savent qu’il est souvent difficile de tout avoir. La robustesse ou les profils garantissant les qualités de vols à basse vitesse requis pour les opérations d’écopage ou de largage ne vont pas par exemple nécessairement de pair avec de bonnes performances attendues pour réaliser de longs convoyages. Appelés à intervenir rapidement sur des feux éloignés de centaines, voir de milliers de kilomètres à travers le continent, ce point permet aux projets émergents qui partent d’une feuille blanche de se différencier.
Mais le cahier des charges des futurs modèles pourraient intégrer également de nouveaux critères. Pressurisation de la cabine pour permettre de voler plus haut lors des convoyages ou intégration de systèmes dédiés à l’efficacité opérationnelle (communication satellitaire, information, coordination air/sol/drones). Les capacités d’emport et de gestion du liquide embarqué, les distances d’écopage sont aussi des arguments mis en avant par les concurrents du Canadair. Du moins pour l’heure, sur le papier.
Un marché “difficile”, à prendre…
Il existe bel et bien aujourd’hui un marché pour ce ou ces futurs appareils. La décision de DeHavilland Canada de relancer une production en témoigne. Cependant, ce marché de niche des avions bombardiers d’eau est par nature, compliqué à aborder. Le volume d’appareils à produire reste relativement restreints. Si 170 appareils volent aujourd’hui, il pourrait au mieux doubler d’ici 2050. Amortir des coûts de développement et de certification dans ce contexte n’a donc rien d’évident à priori.
L’argument de la souveraineté : Française ou Européenne?
La Start-up Bordelaise Hynaero accompagnée de ses partenaires, surtout institutionnels pour l’instant, voit pourtant là une opportunité de lancer aux couleurs de la France, un tout nouvel appareil. Son programme dont le coût total est d’un milliard d’Euros est déjà lancé. La première levée de fond achevée va permettre selon David Poncet, son cofondateur, d’assurer la première phase de développement, le baptême du feu étant espéré pour 2031.
La cause est belle et l’objectif ambitieux. Il reste à savoir si la France aura les moyens de cette ambition en jouant cavalier seul. Car à l’heure où L’Europe fait ses gammes et puisque le problème à traiter est européen, l’union de plusieurs les acteurs solides pour explorer la piste d’un “Airbus” du feu pourrait éventuellement s’avérer plus judicieuse. Cela ne serait alors pas sans rappeler le programme d’un certain C-series du constructeur Bombarbier. Il vole aujourd’hui sous le nom d’Airbus A220.
Tableau récapitulatif
DHC515 | FREGATE 100 | WF-X Waterfall | DASH 8 | |
Capacité | 7000 L | 8000 L | 12000 L | 10000 L |
Programme | Evolution | Nouveau | Nouveau | Retrofit |
Amphibie | OUI | OUI | OUI | NON |
Multirôle | NON | OUI | OUI | OUI |
Production | 2025/26 | 2031 | 2029 (?) | arrêtée 2021 |
Prix unit | 35 M€ | – | – | – |