La révolution silencieuse sino-russe
On savait que les avionneurs russes et chinois étaient en embuscade. Outsiders moqués côté occidental et peu représentés sinon dans leurs pays d’origine, ils auront toutefois profité d’une année 2020 “aéronautiquement” catastrophique pour avancer leurs pions. Coup de maître?
Les chinois affutent leurs ailes
Les chinois d’abord. En faisant voler leur C919, futur concurrent direct des monocouloirs A320 et B737, ils sont venus compléter une offre balbutiante essentiellement connue via le Comac ARJ 21, avion biréacteur de 70 à 90 places motorisé par le CF34 de chez General Electric. Le nouveau venu devrait d’abord satisfaire la demande de leur vaste marché intérieur (+50% entre 2014 et 2018) dont l’activité n’a pas tardé à regagner un niveau proche d’avant Covid.
En annonçant la construction de 8000 appareils dans les années à venir, l’industrie chinoise a clairement fait connaître son intention de jouer dans la cour des grands, d’autant plus que ses ambitions ne s’arrêtent pas là. Le C929, gros porteur de 280 places /12000km de rayon d’action figure déjà dans les projets en collaboration avec son nouveau partenaire. Le russe UAC.
Les russes au four et aux moulins
Côté russe, c’est le constructeur Irkout qui fait voler son MC21 en vue de sa certification. Ce dernier sera également concurrent des monocouloirs biens connus de nos aéroports. Toutefois un léger détail devrait nous interpeller.
Si tous les appareils chinois et russes à visée commerciale ont jusqu’ici été développés en collaboration avec des motoristes occidentaux, Pratt&Witney GE ou CFM (GE&Safran) dont le Leap1C pour le C919, l’avionneur d’Irkoutsk sera désormais en mesure de proposer une motorisation alternative d’origine russe à ses clients.
Cette petite révolution passera t-elle inaperçue? Ce serait négliger un risque commercial d’importance pour nos propres motoristes qui pourraient se voir écartés ou du moins sérieusement malmenés sur des marchés où ils régnaient en maîtres. Leurs nouveaux concurrents, gardons à l’esprit le potentiel du marché asiatique, auraient alors la possibilité de produire en pleine autonomie ou presque. La perte serait colossale.
Outre le fait que l’ alliance aéronautique Sino-russe pourrait à terme autosatisfaire les besoins intérieurs des 2 immenses pays et de leurs alliés commerciaux, elle pourrait aussi attaquer des marchés qui ne lui étaient pas particulièrement favorables jusque là.
Elle pourrait très paradoxalement être aidée en cela par l’affaiblissement naturel (covid) ou organisé (restrictions ou nouvelles contraintes liés à l’écologie) de ses concurrentes. On voit d’ailleurs poindre en Europe et aux USA les prémisses de réduction de voilure pour certaines, de faillite pour d’autres ou de recapitalisations plus ou moins “amicales”.
Un risque écologique
Une question notable devrait également attirer notre attention. Quelle sera la part de prise en compte des nouvelles contraintes écologiques dans les programmes de ces nouveaux arrivants?
Soit elle sera nulle ou faible et l’on peut douter du fait que des lobbys écolos équivalents à ceux que nous connaissons ici osent se frotter aux plans du parti communiste chinois ou du gouvernement russe. Soit la cause écologique sera intégrée aux programmes. Il faut craindre alors que la force de frappe des nouveaux alliés ne devancent rapidement nos propres efforts. Il suffit de regarder la position actuelle de la chine dans la maîtrise de la technologie des batteries (y compris des ressources minérales) pour s’en convaincre.
Assez paradoxalement, côté occidental nous sommes arrivés à une certaine maturité dans ce domaine avec des gains de consommation importants et réguliers. Les récentes prises de positions gouvernementales et industrielles (Airbus notamment) vont réorienter les efforts de recherche dans un premier temps et de production ensuite. Notre avenir s’oriente donc vers des motorisations à énergies alternatives (électrique & H2) avec un objectif concret fixé pour 2035.
Nul ne sait à cette heure quand ni comment nous (à l’Ouest) sortirons de la crise. Entre le soutien d’une main et le fouet écologique de l’autre, la position de notre industrie risque de ne pas être des plus confortables. Les compagnies, du moins celles qui auront survécu ne verront-elles pas dans ces appareils concurrents, sans doute devenus fiables et offrant probablement un coût d’achat bien moindre, une opportunité de redresser leur trésorerie?
Tandis qu’ils seront engagés dans une course à l’échalotte pour le climat, nos constructeurs auront aussi à supporter au cœur de la tempête les coûts de recherche et de développement d’une aviation 2.0. C’est peu de dire que face à un tel challenge, ils sont condamnés à réussir ou à mourir. Dans le premier cas, ils se sentiront moins seuls, dans le second nous aurons tout perdu.
C’est pour cela qu’il nous faut regarder la réalité avec une certaine froideur. Non pour tenter de compenser le réchauffement climatique mais pour donner une chance véritable à notre industrie sans la soumettre à d’inutiles contraintes dictées par l’idéologie. Seul le recours à la real-politique nous protégera de nos concurrents.