Peur sur les ondes
Lors de la phase d’atterrissage à l’arrivée d’un vol transatlantique, un avion gros porteur de fabrication américaine d’une grande compagnie française a rencontré des difficultés inattendues. Cela a contraint les pilotes à effectuer une remise de gaz. Ces derniers sont parvenus à maintenir la situation sous contrôle et à revenir poser l’appareil comme prévu.
Nous laissons naturellement le soin de l’enquête aux professionnels du Bureau enquête Analyse et n’avancerons aucune hypothèse sur ce qui a pu ou non se passer lors des dernières minutes de ce vol. Essayons par contre de comprendre :
- Comment, un événement sans conséquences et classé dans la catégorie des “incidents” a pu faire l’objet d’une telle hystérisation médiatique
- Quelles sont les conséquences de la communication de telles informations
La technologie permet de vivre les vols en direct
Le premier élément marquant est la rapidité avec laquelle l’information s’est propagée. Alors qu’auparavant le grand public n’aurait probablement pas eu connaissance d’un tel incident, ce moment stressant vécu par les pilotes et sans doute par le contrôleur a pu être diffusé très rapidement, notamment par un site spécialisé Air live.
Tout un chacun peut suivre en direct la plupart des vols sur divers sites ouverts au grand public. Sur Flightradar24, Flightaware ou Radarbox pour n’en citer que trois, informations sur l’appareil, trajectoire, altitude, vitesse et j’en passe sont ouvertement publiées. Il ne manque que l’image pour vivre le vol en direct. Cette prouesse est rendue possible grâce notamment à la technologie ADS-B, sorte de super transpondeur qui permet un suivi des vols des plus précis et réaliste pour peu qu’on dispose de la bonne interface d’interprétation. Ce que fournissent précisément ces sites à des milliers de passionnés (mais aussi de professionnels).
Les “avgeek” les plus férus connaissent également le site LiveATC dont les streams permettent de suivre un grand nombre de fréquences aéronautiques dans le Monde, dont l’approche et la tour de Paris Charles de Gaulle. Une fois connecté, l’auditeur peut suivre en direct, les échanges entre le cockpit et le contrôleur. Si 99,9% de ces échanges sont pour les passionnés ou simples curieux, des messages de routine relevant de la gestion habituelle du trafic, toute anomalie lorsqu’elle survient place bien évidemment l’oreille extérieure aux premières loges de l’action.
Conversations pilotes / ATC: Quel statut?
Nul besoin alors d’attendre le retour des enregistreurs de vol pour commencer l’enquête puisque la présence immersive dans les communications, en ayant livré bruts ses premiers éléments, permet à tout un chacun d’essayer de comprendre le déroulé des événements. Cette tendance consistant à “jouer les experts” comme disent certains, est assez naturelle et peut s’entendre dans un cercle restreint (typiquement au bar de l’aéroclub). Il n’en est pas de même lorsque ces spéculations de haut vol se répandent dans les médias façon buzz.
Quel statut accorder à une conversation professionnelle, certes publique, mais devenue pièce à conviction? Si l’on peut se réjouir d’avoir un libre accès aux échanges techniques, qui n’intéressent d’ailleurs qu’un nombre limité de personnes, doit on permettre leur utilisation dans un cadre autre que privé? Il faudra peut être un jour répondre à ces questions.
Des conséquences non négligeables
Un simple incident n’ayant par définition entraîné ni dommage physique ni dommage matériel et ayant fait l’objet d’un ASR sera toujours pris au sérieux par les autorités. C’est le principe même du retour d’expérience qui confère au transport aérien un niveau inégalé de sécurité. En matière de transport commercial, ces questions sont gérées conjointement par les compagnies et via le Bureau Enquête Analyse (et dans le cas présent par le constructeurs qui reçoit les données de l’appareil).
La diffusion quasi simultanée sur les réseaux sociaux et dans les médias des échanges captés est en revanche une nouveauté qui peut légitimement poser question. Quel est dès lors le statut de ces échanges devenus en quelque sorte “pièces à conviction” pour les enquêteurs du BEA? Quelles conséquences leur diffusion au public peut elle engendrer?
Il ne s’agit pas ici de garder au secret des faits dont tout un chacun pourra de toute façon prendre connaissance à l’issue d’une enquête (le BEA publie l’ensemble de ses rapports), mais plutôt de protéger la compagnie, les pilotes, les contrôleurs, un constructeur… des pires spéculations auxquelles ne manquent pas de se livrer internautes et spectateurs. Par son côté sensationnel, le phantasme de l’accident figure en bonne place dans l’inconscient collectif et il en faut toujours assez peu pour le réveiller. Cette reprise par les médias relève t-elle de l’information ou de la recherche d’une nouvelle forme de sensationnalisme destiné à semer un peu plus le doute chez ceux qui sont tentés de prendre l’avion? En ces temps de défiance écologique et médiatique vis à vis de ce qui vole, on en serait à peine surpris.
Rappel : Un incident aérien est un événement autre qu’un accident, lié à l’utilisation d’un aéronef qui compromet ou pourrait compromettre la sécurité de l’exploitation.
L’objectif de l’OACI est la recommandation de processus d’analyse des accidents pour en rechercher les causes et en déduire des actions permettant d’améliorer la sécurité. Le rapport d’accident établit la cause primaire et, souvent, l’enchaînement de causes secondaires qui ont participé à la constitution du problème. Ces conclusions intéressent les constructeurs et équipementiers, les compagnies aériennes ou les exploitants, les équipages, les contrôleurs de la navigation et les services de maintenance. La détermination des responsabilités n’entre pas dans le champ des investigations.